Miss Doudou et moi (II)
Miss Doudou et moi (II) by Thomas Jill Wiernon is licensed under CC BY-NC-ND 4.0
Les heures, les jours, une première semaine s'écoulèrent sans grand changement. Miss Doudou alterna longues phases de sommeils et détours par la case repas. En bref, elle se livra pour l'essentiel à l'activité favorite de felis silvestris catus : dormir, dormir et encore dormir ! De rares fois, toujours dans cette perspective, elle vint s'allonger sur mon lit, tout près de moi, avant de clore ses paupières, somnoler un petit quart d'heure pour se réveiller en sursaut et rejoindre sa retraite, derrière le piano, sur la mezzanine principale.
Très vite, au lendemain de son arrivée sous mon toit, Miss Doudou avait choisi cet emplacement restreint compris entre l'instrument de musique et la rampe, sans doute parce que le premier la masquait aux regards non avertis tandis que la seconde lui permettait de surveiller le salon en contrebas, depuis son discret belvédère. Outre ces deux motifs évidents lorsque l'on connait, un tant soit peu, la logique du chat à l'oeuvre dans ce comportement - se cacher et épier, voire jouer les concierges ! -, je ne serais pas surpris que la sélection opérée par Miss Doudou dépendît parallèlement de la rémanence des odeurs de sa consoeur en espèce, son aînée et prédécessrice: ma bien-aîmée Nutty. De ce point de vue en effet, je remarquais que jamais celle-ci n'avait jeté son dévolu sur la cache que Miss Doudou, quant à elle, affectionnait tant. Il me semble même que, considérant les quelques occurences au cours desquelles Nutty emprunta en trombe cet étroit passage derrière le clavier, ces événements coincidèrent systématiquement avec une tentative vaine et désespérée de sa part pour me fuir et échapper ainsi à la traditionnelle visite chez le vétérinaire ! Pour l'odorat aiguisé d'un chat en général et pour celui de la nouvelle venue en particulier, j'imagine que mon studio fleurait bon le félidé dans tous les coins et recoins excepté ou dans une moindre mesure, donc, derrière le piano. Dans quelles proportions toutefois les effluves de Nutty déterminèrent le choix de Miss Doudou, je ne saurais le préciser. Je ne pouvais que uniment constater l'innovation de ma protégée ainsi que l'assiduité avec laquelle elle fréquentait son repaire.
Je ne sais rien encore du destin passé de Miss Doudou. Peut-être même n'accèderai-je en aucun cas à la vérité ! Existe-t-il quelque part quelqu'un pour la regretter ou fut-elle prosaïquement abandonnée ? Comment diable le déterminerais-je ? Inspiré néanmoins par certaines de ses attitudes, je ne cacherai pas que je penche volontiers en faveur de la seconde hypothèse (lire Miss Doudou, que t'a-t-on fait ?) ! Mais peu importe à ce stade ! Quel que soit le secret de ses origines, les affres de son cheminement, je note simplement que Miss Doudou éprouve, régulièrement et invariablement, le vif besoin de regagner son refuge, que ceci survienne après une nouvelle exploration méthodique de l'appartement, une sieste à mes côtés ou un détour par le self-service. Récemment, je me suis livré à plusieurs reprises à une petite expérience pour tenter modestement de cerner les mouvements intimes de ses désirs, de ses pulsions : guettant le moment-clé où Miss Doudou succombe à l'impérieuse attraction de son singulier abri, je me suis appliqué à l'appeler aussitôt, avec délicatesse, en frappant répétitivement le sol du bout des doigts afin de retenir coûte que coûte son attention autant que son élan premier. Dans la plupart des cas, je parviens effectivement à la stopper voire à l'obliger à un demi-tour. Elle réagit et, alternativement ou consécutivement, la voici qui se fige, hésite, observe autour d'elle, me regarde, tourne une ou deux fois sur elle-même, me regarde, grimpe sur mon futon - s'y couche parfois pour se relever la minute d'après ! -, court se planter au sommet des escaliers, me regarde, puis scrute soigneusement le rez-de-chaussée du foyer. En manoeuvrant selon cette méthode des plus empiriques - je l'admets... -, je parviens quelquefois à l'inviter à nouveau près de moi où elle finit enfin par se coucher. Jusqu'à récidive ! Lorsqu'elle traverse ces phases, Miss Doudou ne m'apparait cependant pas excessivement stressée ou fébrile. Je crois deviner plutôt le ressort ou le pli d'une habitude certainement contractée, engrammée au fil des défis que ma douce rescapée a dû immanquablement relever au cours de son errance. A présent, bien qu'à l'abri dans mon logis, elle ne se conforme pas moins, à intervalles plus ou moins réguliers, aux faisceaux de ses impératifs instinctuels que la précarité de son existence renforça nécessairement. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, d'une heure à l'autre, je la vois toujours céder à son besoin de se tapir dans son petit havre de paix pour de longues heures.
Lorsque j'examine avec une infinie tendresse la touchante Miss Doudou, je ne peux qu'admirer in fine l'efficience de l'instinct. A juger le petit gabarit de cette chatte, il était sans doute préférable qu'elle se terrât au lieu que d'affronter des congénères mieux lotis et armés ou d'autres mammifères parfois funestes pour les chats, tels la fouine ou le renard. Certes, elle dut en conséquence tomber dans une spirale infernale, s'affaiblissant de jour en jour pour ne pas risquer une confrontation frontale avec ces nombreux et redoutables compétiteurs. Toutefois, Miss Doudou détenait un atout décisif et suprême : sa claire intelligence ! Salutairement, elle lui commanda de rencontrer Amélie.
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