Miss Doudou n'est plus sur la touche
Miss Doudou n'est plus sur la touche by Thomas Jill Wiernon is licensed under CC BY-NC-ND 4.0
C'est acquis. Miss Doudou n'est indubitablement plus le même chat qu'à son arrivée sous mon toit, le 5 juin dernier. Fini le temps où mademoiselle se cachait pendant des heures derrière le piano numérique mue essentiellement par l'exacerbation de son instinct de survie. Elle ne quittait alors sa cachette que quelques minutes pour se restaurer, boire et, éventuellement, me concéder chichement quelques frôlements affectueux. Tout cela, fort heureusement, est une histoire ancienne. Maintenant, cette enfant de la rue affiche clairement des inclinations plus aristocratiques. Elle ne dort plus par terre, non ! Pour s'assurer un sommeil confortable, sa Majesté s'étend désormais sur l'épaisse feutrine protégeant le cadre et la table d'harmonie du quart de queue Erard dont je clos rarement le couvercle. Démonstration est faite que Miss Doudou me domine. Je l'avoue : je n'ai pas eu le coeur de la chasser de ses nouveaux appartements ! Je me suis juste assuré que la densité du textile interdisait à sa Sérénissime Félinité d'improviser une passacaille avec ses griffes sur les cordes en tension de l'instrument séculaire. Reste éventuellement les poils, mais j'en préviens radicalement la chute par l'usage quotidien d'un gant de toilettage particulièrement efficace. Ces assurances prises, pourquoi interdirais-je alors à Miss Doudou de s'établir dans cet espace où elle s'allonge avec tant de grâce et, surtout, un ostensible plaisir. Etendue à l'intérieur du meuble de l'instrument, elle s'endort chaque fois paisiblement avec, sans doute, au plus profond de son être le sentiment d'occuper un lieu sûr... parce que source d'harmonies. De plus, qui sait ? peut-être qu'un jour, rentrant au matin d'une de mes astreintes, je la trouverai face au pupitre et au clavier s'escrimant à déchiffrer les premières mesures du Prélude n°1 de Bach...
Plus sérieusement, j'ignore si Miss Doudou possède le moindre sens musical. Je nourris en toute franchise peu d'illusions quant aux possibilités de la découvrir inopinément jouant du piano, que ce soit à l'aube ou nocturnement. Mais je me réjouis, enfin ! de la voir jouer pour de bon ! Jeudi 4 août, je déballais une enceinte connectée commandée trois jours plus tôt, enceinte que j'envisage d'utiliser dans mes recherches de Nutty. Deux câbles audionumériques accompagnaient l'appareil ainsi que le long cordon gris et élastique de la sangle. Intriguée par la boîte, Miss Doudou s'approcha de moi, à mon insu. Une fraction de seconde plus tard, sans aucune semonce, elle jaillit tel un guerrier ninja dans mon champ de vision, ses pattes antérieurs tendues pour saisir au vol la dragonne qui pendait en oscillant de ma main droite. J'en eus le souffle coupé puis j'éclatai de rire:
- Mais tu t'amuses, ma Doudou ? Mais oui ! Tu t'amuses !
Factuellement, ce n'était pas la première fois que Miss Doudou jouait. C'est pourquoi je supposai en conséquence que, comme à l'habitude, cette opportunité ne la captiverait guère plus d'une dizaine de secondes, au grand maximum. Dubitatif, j'agitai de nouveau la tresse du passe-main devant ses yeux, grandement convaincu de l'émoussement prématuré de son intérêt. Ma protégée cachait bien son jeu, si je puis dire ! Ses pupilles se dilatèrent et, le temps de fixer parfaitement sa cible, elle s'élança de nouveau en direction de la ficelle. Sous la vigueur et la précision de l'attaque la cordellette m'échappa pour finir entre les pattes de Miss Doudou. Elle se mit en tournoyer fiévreusement sur elle même et à bondir en tous sens sur le carrelage en mordillant sa prise à plusieurs reprises. Elle s'amusait sans retenue. Pour la première fois, depuis que je l'avais recueillie. Je ne l'avais jamais vue ainsi : énergique, presque fiévreuse, à la fois concentrée et insouciante. Qu'était donc devenue mon impassible et flegmatique Miss Doudou ? Je jouai ainsi pendant de longues minutes avec un chat méconnaissable parce que métamorphosé, un chat athlétique, inventif et heureux. Je renouvelai l'expérience à plusieurs occasions au fil de la journée et le lendemain. Miss Doudou répondit chaque fois avec la même effervescence. Les seuls instants où celle-ci réfréna son ardeur coincidèrent avec les rares moments où, au cours de notre interaction endiablée, ses griffes se plantèrent malencontreusement dans ma chair. Voyez-vous, Miss Doudou sait être légère et, en même temps, attentive sinon attentionnée. Cette double découverte illumine toujours mon weekend. Encore une fois, la force et le mystère du chat résident, vraiment, dans la joie pure qu'il nous prodigue.