Doudou et mon domicile
Doudou et mon domicile by Thomas Jill Wiernon is licensed under CC BY-NC-ND 4.0
I
Mon appartement n'a rien d'exceptionnel, juste un peu atypique car tout en volume. Imaginez un petit studio comportant une mezzanine intégrée au plan d'ensemble, sur laquelle, ajustée par mes soins, s'élève... une seconde mezzanine. Le quidam sourira. Pour ma part, cette disposition singulière m'assure une gestion optimum de l'espace disponible. C'est aussi un bonheur pour les chats, tels que ma minouche Nutty, qui peuvent ainsi jouer les acrobates ou les alpinistes dans un environnement relativement exigu. Transformant un inconvénient en avantage, j'ai ainsi organisé mon triplex en trois niveaux aux fonctions distinctes. Le premier comprend un coin salon, une kitchenette, la salle de bain et les toilettes; le second hénerge mon lit, mon bureau et un coin musique avec un piano numérique adossé à la rambarde de la mezzanine principale. Comme il se doit, le niveau supérieur, lui, est dévolu à mon chat. Il serait plus juste d'avouer que Nutty se l'est un jour arrogé...
J'ignore pourquoi, mais Miss Doudou néglige le dernier étage de ma ziggourat intérieure auquel l'on accède par le biais d'une échelle. Depuis lundi, quand elle ne mange ni ne boit, elle se réfugie préférentiellement entre le piano et la rampe. Allongée de tout son long dans cet espace exigu, à l'abri des regards, protégée par le panneau arrière de l'instrument, elle surplombe ainsi le salon. De toute évidence, cette position lui offre une pleine latitude pour observer en toute discrétion qui entre ou sort de l'appartement, en ménageant les conditions de sa propre fuite. Maline ! Il est clair, à mes yeux, que Miss Doudou vit encore sous l'emprise des peurs auxquelles elle fut confrontée depuis que commença sa longue errance. La posture qu'elle adopte en se glissant derrière le piano est, me semble-t-il, celle d'un animal sur le qui-vive, confronté depuis longtemps aux impératifs de la survie. Il lui faudra probablement un peu de temps pour se départir de ces habitudes forgées par l'instinct au fil de trop nombreux jours de lutte. Heureusement, elle a su enfin marcher vers les humains et rencontrer la bonne personne, Amélie da Mota, à qui je dois cette belle rencontre. Miss Doudou, ton courage a payé. Tu nous as rencontrés. Pour le reste, tu bénéficieras de ma patience et de mon affection. Il est temps de souffler. Tu es ici chez toi. Quel que soit ton étage favori !
II
Comme chacun de vous, je vaque quotidiennement à mes occupations. Je dois quitter mon appartement régulièrement pour travailler, pour les courses, ou pour régler des problèmes divers et variés. Chaque fois, je laisse Miss Doudou derrière moi. Avec un petit pincement au cœur. Je l'aime beaucoup. Elle ne comble en rien l'absence de Nutty. Néanmoins, sans l'ombre d'un doute, cette puce a déjà une place à part entière dans mon cœur. C'est une chatte de petit gabarit, douce et affectueuse qui apprécie une présence humaine et bienveillante. Pour l'heure, toujours marquée par sa vie passée, sûrement bousculée par les moult changements intervenus depuis cinq jours, elle s'obstine à séjourner durablement entre le piano et la balustrade. Tel est son refuge. Je respecte scrupuleusement son comportement et ses choix, conscient qu'il me faut l'observer sans interférer outre mesure afin d'apprendre à la connaître sans heurt, dans le respect de ses temporalités. Je suis déjà très heureux que, depuis lundi soir, elle vienne parfois s'allonger à côté de moi lorsque je me repose. Délicieux et roboratif moment, chaque jour un peu plus appuyé, où je perçois à travers l'oreiller son ronronnement régulier et profond ! Puis vient l'instant où la tentation de rejoindre sa cachette l'éperonne, l'arrachant quelquefois à son sommeil. Mais avant, très souvent, comme cherchant à dissiper une énigme, elle s'assoie face à moi, pattes antérieures jointes, me fixant droit dans les yeux. Pourquoi, devant son impassible félinité, ai-je systématiquement l'impression qu'elle me crible alors de questions :
- Mais qui es-tu, humain ? Pourquoi prends-tu soin de moi ? Pourquoi cette tristesse ? Que me caches-tu ?
Decrypte-elle, petit à petit, dans le flux et le reflux de mes émotions, mes pensées les plus intimes ? Elle insiste de la sorte quelques secondes, les yeux mi-clos, à l'image d'un policier plissant les yeux face au silence suspect d'un témoin. Enfin, peu diserte sur ses conclusions, elle se retire sans bruit, nonchalamment, épousant les ombres au cœur de son havre perché. Pour méditer, sûrement.
