Il était, une fois ! - Philippe Piveron
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A Magali Mineur.
Fruit d'une synergie entre le Centre Régional du Livre en Limousin, les Amis de la BDP de la Corrèze, les bibliothèques départementales de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne et la bibliothèque francophone multimédia de la ville de Limoges, le Festival "Coquelicontes" tint de mai à juin 2009 sa 13ème édition. Lors d'une représentation programmée à Bujaleuf (87) — village de mon enfance — ce fut pour moi l'occasion de découvrir l'un des invités de la manifestation, une invitée en l'occurence, une conteuse et comédienne belge avenante au joli nom de Magali Mineur. Parce que j'ai passionnément aimé ce moment-sortilège, permettez-moi, chères lectrices et chers lecteurs, de vous le narrer ici à l'image d'un conte fantasque et fantastique !
Ce mois de mai s'étirait langoureusement vers son crépuscule. L'air embaumait. Les fragrances suaves, tièdes et sucrées des premiers foins, les senteurs capiteuses des robiniers éblouissaient les âmes lasses, meurtries par un trop long hiver. Le printemps, enfin ! échauffait les corps lourds et engourdis. L'éclosion du soleil revigorait les hommes et effeuillait les femmes en quête de conjonction. Partout, les villageois rassérénés s'abandonnaient indolemment au plaisir de goûter au temps qui passe. Ils pouvaient s'assoupir confiants au reflux calme du jour, bercés par les trilles allègres des passereaux qui musiquaient, en échos infinis, la campagne alentour. Il en était probablement ainsi depuis des âges sans nombre, depuis ces heures antiques où les nymphes avaient fui à jamais les prairies, les ruisseaux, les monts et les sous-bois. Cependant, cette fois-ci, à l'orée des songes, un événement rare et précieux survint. Sur l'orient d'abord, l'encre anthracite de la nuit infusa peu à peu l'émail azuréen du jour quand, impromptu, un astre brasilla sur l'horizon. Le monde se tut, subitement aux aguets. Tout à coup, un aérolithe fulgura. Dans une course irrépressible, le météore chut vers les lointains hyperboréens. Il n'y eut bientôt plus que le souvenir rubicond d'un bref éblouissement, la fervente certitude d'un heureux présage. Alors, dans un froissement d'ailes, Magali Mineur, l'œil émerillon, effleura la nuit en devenir avec la majesté d'un harfang et la grâce d'une fée. Elle se posa doucement au creux du petit bourg pour la plus grande joie de quelques gentilés, trop heureux de fuir en sa compagnie les lueurs blafardes des écrans cathodiques. L'enchanteresse inconnue, rapportaient certains autochtones, arrivait tout droit des frontières du septentrion, d'un mystérieux « Pays Noir »; en vérité, une contrée de mines et de terrils aux cieux bas, fuligineux et tourmentés.
- Mais là-bas Monsieur ! les gens ont le soleil au cœur. Et, plus encore, ils savent naturellement depuis des temps immémoriaux, tout du mystère et de l'art des pépites !
Quelques secondes suffirent à la jeune femme, conteuse de tout son être, orfèvre des mots et des émotions, pour captiver son public en digne héritière du secret des métallurges. Même ! Devant un auditoire promptement conquis, elle étincela, plus lumineuse sans doute que le croissant sélène dérivant sous le vent, quelque part au-dessus de nos têtes, à la lisière des toits et des bois. Ainsi, à l'heure traditionnelle de la veillée, Magali Mineur nous conta l'Amour. Les amours naissantes, les amours déçues, les amours mortes. Les amours promises, les amours trahies. L'amour-magie et l'amour-sorcier. L'amour sans lendemain dont on se souvient toujours ou l'amour fidèle qu'ensanglante un jour la pire des félonies.
Quelques minutes plus tôt nous entrions dans un hall aménagé avec soin dans un ancien corps de ferme. Nous prîmes rapidement place sur des rangées de chaises disposées en arc de cercle sur toute la longueur de la salle. Nous n'eûmes pas le sentiment de patienter longtemps ! Tandis que je fixais distraitement la grande cheminée comme creusée à hauteur de gnome dans le mur auquel nous faisions face, un vent malicieux claironna brièvement dans le conduit. Au dehors, perché dans les futaies toutes proches, un merle improvisa intempestivement ses gammes virtuoses. Avec l'inspiration d'un aède, il préludait la nuit imminente. Vers l'occident, la nef solaire se rompit, essaimant ses étoiles. Des lampyres vagabonds s'envolèrent vers les constellations tels les braises virevoltantes d'un feu de Saint-Jean. Les confins rougeoyèrent une dernière fois. Une onde de lumière chamarrée parcourut la contrée pour mourir dans un sursaut au seuil de notre abri, juste derrière nous, par delà la baie vitrée. Au même instant, à l'opposé, nos silhouettes valsèrent furtivement sur le mur ocre avant de se figer dans un ultime mouvement de surprise. Je tendis l'oreille, j'écarquillai les yeux, retenant mon souffle. A un pas de l'âtre muet et nu, Magali Mineur déclamait, silhouette-flamme, prunelles ignées. Tous les regards, synchrones, convergèrent dans sa direction. Des feux de Saint-Elme habitaient les orbites. Je secouai la tête à demi-incrédule. Que nous arrivait-il ? Que m'arrivait-il ? Etais-je à l'instar de mon entourage fiévreux ou victime d'un ensorcellement ? Je fixai brièvement chacun de mes voisins. La même lueur d'émerveillement ourlait-elle d'argent le liseré de mes pupilles ? Je me frottai les paupières avec insistance. Peut-être avais-je rêvé et, peut-être, rêvais-je encore ? En fait, je me trompais. Tout au contraire, pour la première fois de ma vie, j'étais intensément éveillé ! Comment sinon mes sens, ma mémoire, mon imagination m'eussent-ils, par syntonie, révélé l'assoupissement du monde, sa faconde onirique avec autant d'acuité ? J'avais été à mon insu simplement transporté par l'art chamanique de Magali Mineur, le timbre doré de sa voix, son pas funambule et ses incandescentes métamorphoses. Elle avait su s'immiscer dans notre présent sans un heurt pour délicatement nous bouleverser. Tour à tour messagère et trobaritz, Sappho et Circée, conteuse et comtesse, notre hôtesse égrenait ses fastueux récits, fécondait l'instant avec une science métronome, lutine et ludique. Subtilement, au diapason de son tempérament, elle avait accordé, crescendo, nos diverses sensibilités à la sienne. Elle ne nous distrayait pas. Non ! Le trivial artifice ! Le conteur n'est point un amuseur, mais un guide de haute-montagne, un passeur des cimes et Magali, je le devine, chemine toujours dans cet esprit, ivre d'altitude et de sincérité. De conte en conte, d'étape en étape, elle nous initia graduellement à nous-mêmes, non par prétention moralisatrice, mais en femme éprise des rencontres, amoureuse insatiable des relations, des échanges, de leurs alchimiques et impénétrables mystères. Est-ce pour cette raison que, à l'apogée de nos pérégrinations vespérales, nous nous sentîmes toutes et tous comme délivrés ? Oui ! Elle nous avait bel et bien, généreux cicérone, affranchis des pesanteurs du jour, de l'étreinte du quotidien, de ses avilissantes et pâles perspectives. En toute franchise et au risque de me répéter, de toute mon existence je ne fus jamais aussi léger ! Pour ne pas échapper à la gravitation malgré moi je dus, il me semble bien ! m'agripper discrètement mais fermement à ma chaise, hypnotisé par l'interprétation polychrome de l'artiste. J'allais presque jusqu'à oublier sous son amène emprise que cette belle dame était conteuse. Le comble du talent ! Chorégraphe, elle tutoyait l'espace. Musicienne, elle instillait en mesure ses silences expressifs. Poétesse, elle rimait l'invisible avec nos prosaïques réalités. Magicienne, elle s'effaçait ostensiblement derrière ses personnages pour, dans le tempo suivant, en assumer avec brio la souveraine épiphanie. Alors, porté par les vents turbulents de son inspiration, soulevé par la houle de son imaginaire que vouliez-vous qu'il se produisît ? A la seconde où s'acheva son interprétation, mes mains se desserrèrent d'instinct. J'oscillais légèrement au-dessus de ma place, le coeur bondissant. La jeune femme, quant à elle, s'inclina révérencieusement sous l'ovation affectueuse du public. Un sourire apaisant éclairait son visage. Je fermai les yeux pour en préserver intimement la lumière. Une pensée m'effleura. Et si je cinglais moi aussi, à mon tour, vers le pays des contes ? Comme soumis à une force invisible, mes dernières amarres cédèrent sans bruit. Depuis, bercé par le souvenir alliciant d'une conteuse émérite, irrésistiblement, je vogue, je vogue, je vogue...
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