A mon Père - Philippe Piveron
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In Memoriam
Papa est mort ! Papa est mort ! Papa est mort !
J’écris et cercle rageusement ces phrases incantatoires pour lever la malédiction. Mais rien ne s’opposera à l’événement térébrant et maudit. La réalité, son couperet ont tranché. Le fil d’une vie a cédé. Il n’est aucun recours. Je suis incrédule et meurtri. Flamme sous le vent d’automne, Papa est mort en ce 04 novembre 2006. Ce texte s’épanche sous ma plume, furieusement. Je suis à la Gare d’Austerlitz en partance pour Limoges penché, voûté, recueilli sur une table, cerné par le tumulte, l’hémorragie de mes idées. Une peine indicible me taraude et me ronge. Je lutte désespérément, de toutes mes forces contre l’emprise du chaos, contre les morsures de ces puissances cosmogoniques qui nous font naître puis nous tuent. Non ! La mort-sorcière ne vaincra pas deux fois, pas ici, pas maintenant ! Je lui vomis ma haine et cisèle mon deuil dans l’encre de mon courroux. Les mots, mes mots, des mots éruptifs fusent, fulminent, flamboient. J’étreindrai de leurs cercles de feu les ténèbres qui nous entourent et nous suffoquent. Mais Papa est mort !
J’accède au train et m’installe sur le vide. L’express s’ébranle, accélère. Des formes s’ébrouent et s’estompent devant mon regard. Un paysage incertain défile. Il larmoie derrière la baie vitrée, m’éblouit puis s’efface. J’écris toujours et mes mots, malgré moi, maculent le feuillet. Papa est mort !
Je ne suis pas croyant. A travers son départ, je détiens là la preuve que Dieu n’existe pas. Définitivement. Et c’est tant mieux ! Je n’ai pas besoin de son secours. Je n’ai plus besoin de son secours ! En vérité, mon chagrin ne rompt pas ma lucidité, je ne déraisonne pas anéanti par le décès d’un être cher. Je ne souffre ni n’enrage de la surdité céleste, de son aveugle arrogance. Seul m’atteint et me blesse ce qui existe vraiment, là, ici-bas, aux portes de la nuit éternelle. Je souffre de ma matière palpitante faite chair sur la trame des hasards, au linceul d’antiques étoiles. Ma peine nue, je la vis sans fard, debout face à l’abîme et, me débattant, je chancelle devant le silence inextinguible, l’inexpugnable absence. Papa est mort !
Comment, en ce cas, tolérerais-je l’exercice d’une puissance sacrée, prétendument bienveillante et omnisciente ? Comment admettrais-je qu’on me la justifiât aux prétextes fumeux de ses impénétrables mystères ? Papa est mort, vous dis-je ! Il n’est aucune force, aucun au-delà pour le rappeler au monde, à l'existence fût-elle ciselée dans le marbre de l'Eternité. Telle est cette vérité glacée que je touche, que je vois, que je sens et ressens. Voilà ce qui me lacère le cœur et ne cicatrisera pas. Néanmoins, paradoxalement, cette même vérité me métamorphose, me vivifie, me fortifie. Papa est mort et il me recommande à la vie. Il me lègue le devoir d’exister impérieusement en chaque seconde de mon destin, conscient de la finitude des êtres et des choses, attaché viscéralement à notre éphémère humanité. Papa est mort ! Cependant, dans mon cœur, il n’a jamais été aussi grand, aussi généreux et prodigue. Le voici, gisant sur les lèvres des abysses, au seuil du néant et là, encore, une ultime fois, il m’octroie une leçon magistrale, une leçon de vie. Je ne l’oublierai pas.
Papa ! Pascal, Maman et moi nous ne t’oublierons pas ! A l’avenir, nous le savons, ton souvenir solaire nous frôlera parfois au fil de nos nostalgies. Ton visage, ton corps, ta voix chaude, tes élans pudiques et paternels recouvreront leur vigueur d’antan aux flux de nos réminiscences. Voilà notre consolation. Voilà la consolation de tous, car nous détenons des bribes d’éternité dans le précieux écrin de nos mémoires.
Papa, tu es mort, mais tu vivras en nous désormais ! Puisse ton souvenir infuser en chacune et chacun joies, rires et félicité en dépit des ombres qui rôdent et qui frappent.
Au revoir, Papa.
A jamais.
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