Le Journal de Thomas Jill Wiernon

Le Journal de Thomas Jill Wiernon

Echos des Limbes - Partie n°1

Echos des Limbes by Thomas Jill Wiernon Philippe is licensed under CC BY-NC-ND 4.0

 

Cet après-midi — le croirez-vous ? — plus par lassitude que par fatigue, je me suis subrepticement endormi au pied de mon arbre. Je ne rêvai pas. Je voyageai, instantanément, d'un versant à l'autre du cosmos. Enfin… c'est ce que l'homme que je rencontrai lors de mon émersion m'expliqua avec force détails et la faconde d'un romancier à l'imagination certainement très affûtée ! Au fil de nos premiers échanges, j'appris avec stupeur que mon périple n'avait duré en vérité que le temps d'un battement d'ailes de colibris. A peine. Je m'éveillai, certes, sous le même arbre, mais, me redressant en titubant, je constatai dans un frisson que le parc, la résidence, tout mon quotidien avait quant à eux simplement disparu.

- Disparu ? Ce terme, cher monsieur, est impropre commenta mon interlocuteur qui, de toute évidence, devinait chacune de mes pensées; persuadez-vous plutôt que vous appréhendez enfin les choses sur leur endroit, ajouta-t-il ensuite péremptoirement.

Au premier regard, cet "endroit" auquel mon hôte faisait allusion était aussi déroutant que sa remarque sibylline. L'arbre sous lequel je somnolais régulièrement depuis quelques jours pour tenter de croiser sinon attraper ma chatte Nutty que j'avais perdue, cet arbre, donc, poussait en réalité sur… un autre arbre. Plus exactement, il s'enracinait sur une branche aux proportions gigantesques, surplombée par l'arche non moins prodigieuse d'un couvert végétal qui rayonnait une douce lumière d'un vert bleuté. Levant la tête, au risque de me rompre les cervicales, je tentai en vacillant d'embrasser du regard le vaste panorama voûté qui s'offrait à moi.

- Tout ce que vous percevez là sur, des milliers de milles, appartient au règne de Totèch ! me souffla mon mystérieux accompagnateur, et encore ! ne distinguez-vous de lui qu'une région infinitésimale.

Je réalisai soudain que sa voix filtrait de mon propre esprit.

- Totèch ? Qu'est-ce que c'est ?

- Permettez d'abord, que je me présente, voyageur. Je me nomme Soren, Soren Sorenson.

Soren Sorenson ? Pourquoi ce nom m'était-il familier ? D'où pouvais-je bien connaître ce Soren, fils de Soren ?

- Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Comment je peux rentrer chez moi ?

- Vous vous présentez en ce lieu avec tant de questions ! sembla regretter Sorenson pour préciser ensuite, sur un ton vaguement désappointé, cependant… cela n'explique en rien votre venue, cher monsieur. Dites-moi, Halmerald, cela signifie-t-il quelque chose pour vous ?

- Euh… non… je… je ne crois pas, balbutai-je, le regard toujours perdu dans les ramures, le corps bercé par une douce sensation d'apesanteur. Vous avez toujours cette habitude déroutante de répondre à des questions par d'autres questions ? ironisai-je.

- Prenez garde au mal des cîmes ! me conseilla sans préavis mon mystérieux accompagnateur.

Non, ce Sorenson n'essayait en aucun cas de détourner la conversation ! Je compris, hélas avec une once de retard, le sens précis de sa recommandation. Baissant enfin la tête, subjugué par le lieu et ma contemplation, je fus abruptement frappé de vertige, le corps lourd, enkylosé, comme soumis à une incoercible puissance d'attraction.

- J'aurais dû vous informer plus tôt quant à la survenue probable de ce syndrome, regretta mon hôte toujours invisible, veuillez me pardonner !

Je m'affaissai de tout mon poids en suffocant là où, quelques fractions de temps plus tôt, je sommeillais encore. Le souffle court, le coeur palpitant, le plexus solaire en feu, j'eus le plus grand mal à conserver mon équilibre, déployant des efforts surhumains pour simplement m'asseoir afin de recouvrer mes esprits. Subrepticement, une main se posa délicatement sur mon épaule gauche.

- Allons ! Inspirez profondément, cher monsieur, votre trouble ne tardera pas à se dissiper. C'est le lot de tous les nouveaux venus, sachez-le ! Vous vous accoutumerez vite… relativement au temps que vous passerez en ce monde, j'entends.

Un homme auquel je prêtai facilement la soixantaine transparut à mes côtés. Les cheveux blancs, longs et en bataille, le nez aquilin, le regard d'un bleu pâle, délavé, le visage anguleux arborant une barbichette lui conférant la dignité d'un pharaon, il se matérialisa progressivement, se détachant peu à peu du tronc auquel je m'adossais. Le plus curieux est que le phénomène ne me sembla absolument pas incongru.

- Je ne veux pas rester ici, je veux rentrer chez moi ! protestai-je en me relevant.

- Mais qui vous assure que vous n'êtes pas chez vous sous ces frondaisons éternelles ? argua Sorenson.

Je repensais tout à coup à ma petite chatte perdue, sur le fil du temps, quelque part à l'autre bout de l'univers.

- Chez moi ? C'est auprès de mon chat ! laissai-je échapper avec mélancolie.

Je réalisai que mon exil m'interdisait de poursuivre sa recherche.

- Nutty ? répéta Soren le regard brillant, comme s'il possédait là un indice précieux, qui est-ce ?

- C'est… c'est mon animal de compagnie, une chatte ! Je… je l'ai perdue.

- Perdue ? Vous voulez dire…

- Non, elle n'est pas morte, enfin je crois… Soren Sorenson se caressa le menton, saisissant ensuite sa barbe entre ses doigts longs et osseux.

- Hum… je ne voudrais pas assombrir davantage vos pensées, cher monsieur, mais votre présence ici ne m'invite pas à l'optimisme.

Je tressaillis.

- Je refuse de croire que ma Nutty n'est plus ! me rebellai-je.

- En ce cas, faut-il qu'elle compte pour vous pour que Totèch vous concède cette visite…

- Elle compte pour moi, oui ! Vous ne savez pas à quel point…

- Sans doute, ponctua Sorenson dans un souffle, sans doute…

 

Préambule   Partie n°2

 

 

 



10/06/2022
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser